« Nous pouvons enrayer la progression des maladies métaboliques ! »
Arrivée en septembre dernier au CHU d’Orléans, Nadia Sabbah sonne l’alerte : la région Centre-Val de Loire affiche des taux d’obésité et de diabète parmi les plus élevés du pays. Entre pénurie médicale, renoncement aux soins et amputations fréquentes, elle mise sur la prévention, la formation et la création de filières coordonnées pour inverser la tendance. Dans notre interview de la semaine, elle dévoile ses ambitions et ses projets, inspirés de son expérience guyanaise.
Vous venez de rejoindre le CHU d’Orléans… en provenance du CHU de Guyane. Quel regard portez-vous sur la prévalence et la prise en charge des maladies métaboliques dans la région ?
A ma grande surprise, la prévalence des maladies métaboliques quasiment comparable aux taux observés en Guyane, et donc bien supérieure à la moyenne nationale. Du moins en ce qui concerne le diabète et l’obésité. Une différence notable existe toutefois : ces pathologies touchent majoritairement les femmes dans les territoires ultramarins, tandis que les hommes sont davantage concernés en métropole. Autre similitude avec la Guyane : la région présente une faible densité médicale marquée un manque de médecins généralistes et spécialistes, notamment en endocrinologie. Cette pénurie entraîne des délais importants pour obtenir un rendez-vous et favorise le renoncement aux soins, en particulier dans les zones rurales éloignées d’Orléans. Les patients, qui n’ont pas de médecin traitant, peinent à initier leur parcours de soins, ce qui complique la prise en charge des maladies métaboliques. Mon expérience guyanaise constitue un atout pour relever ces défis, mais je dois encore me familiariser avec le fonctionnement des structures et des organisations locales, et surtout rencontrer les différents acteurs de santé pour développer ensemble des solutions efficaces. La situation exige un véritable travail de coordination ville-hôpital et de prévention pour améliorer l’accès aux soins, et limiter les impacts croissants de l’obésité et du diabète dans la région.
Pourquoi observe-t-on encore autant d’amputations chez les patients diabétiques malgré les moyens de prévention existants ?
Créer une filière dédiée au pied diabétique est un impératif de santé publique. Raison pour laquelle nous venons – avec mon équipe du service endocrinologie du CHU – de déposer un projet spécifique auprès des services de l’agence régionale de santé. Cette initiative est née d’un constat alarmant : le CHU d’Orléans figure parmi les établissements ayant le plus grand nombre d’amputations et de plaies sévères liées au diabète en France. Les données du département d’information médicale du GHT confirment cette tendance. La cause principale semble être le renoncement aux soins : les patients consultent trop tard, lorsque la plaie est déjà infectée, souvent aggravée par des neuropathies qui masquent la douleur. Pour inverser cette tendance morbide, il est donc essentiel de renforcer la prévention primaire et secondaire, mais aussi l’éducation thérapeutique. Apprendre aux patients comment surveiller leurs pieds, consulter plus régulièrement un podologue et diffuser des outils simples comme des flyers permettraient des bénéfices tangibles. Travailler avec des patients experts et des associations de patients sera également un levier déterminant pour mieux informer et améliorer l’observance des traitements. Une fois la plaie apparue, le risque de récidive et d’amputation augmente fortement, ce qui confirme la nécessité du suivi ville-hôpital. La filière proposée inclut la formation (notamment en plaies complexes pour les infirmières, sur les nouvelles prises en charge pour les médecins traitants…), la mise en place de télé-expertise pour les soutenir, mais aussi la création d’une équipe mobile composée d’un médecin et d’une infirmière spécialisée, idéalement une IPA. Cette organisation réduirait les passages aux urgences, faciliterait les admissions directes, et favoriserait une prise en charge rapide et coordonnée avec les médecins généralistes qui sont les véritables fers de lance de cette organisation. L’objectif est de mailler le territoire grâce aux centres hospitaliers du GHT aux médecins traitants et aux paramédicaux libéraux en appui, avec trois perspectives concrètes : réduire les amputations, améliorer la qualité de vie des patients et optimiser le parcours de soins en améliorant sa fluidité.
En quoi la coordination ville-hôpital est-elle cruciale pour améliorer la prise en charge des maladies métaboliques ?
Dans la région orléanaise, les interactions entre le secteur de la ville et le milieu hospitalier sont relativement limitées dans ma spécialité, malgré les outils numériques comme Omnidoc qui facilitent cependant les accès aux avis spécialisés. Les dispositifs actuels ne permettant pas de créer une véritable coordination, il est primordial de renforcer ce lien ville-hôpital, comme cela a été fait en Guyane avec une filière dédiée aux maladies métaboliques et un outil commun dénommé Globule. Ce système a fluidifié le parcours patient en assurant la transmission des informations et en garantissant que chaque étape soit réalisée. Un tel réseau permettrait de rétablir un parcours structuré : soins primaires et secondaires en ville, et recours aux établissements de santé uniquement pour les cas complexes nécessitant un plateau technique ainsi que pour l’appui à nos collègues de ville. Cela soulagerait les urgences et améliorerait la prise en charge. Dans la zone orléanaise, l’accès à certains spécialistes reste difficile, ce qui pénalise lourdement les patients. La mise en place d’une filière pourrait accélérer les échanges entre professionnels, notamment pour les sorties d’hospitalisation, et offrirait un filet de sécurité. Des solutions pratiques existent pour optimiser le temps médical comme réaliser des rétinographes en ville et demander à l’ophtalmologiste de lire les images sans consultation complète. Seule certitude : une coordination renforcée, appuyée par des outils numériques et des protocoles partagés, est devenue incontournable.
Quel rôle jouera le nouveau diplôme universitaire de diabétologie dans la formation des professionnels de santé ?
Le diabète a changé. Ses présentations sont moins typiques et les frontières entre type 1 et type 2 sont plus floues. Exemple caractéristique : on constate désormais des problèmes de surpoids et/ou d’obésité chez de nombreux patients atteints de diabète de type 1. Une situation quasi inexistante il y a quinze ou vingt ans. Ce nouveau diplôme universitaire répond donc aux nouveaux enjeux de la pratique soignante. Principalement destiné aux médecins généralistes et aux infirmières libérales, il est aussi ouvert aux kinésithérapeutes ou aux podologues. Ses objectifs sont clairement affichés : actualiser les connaissances sur les recommandations, les traitements et les nouvelles approches thérapeutiques. Cette formation permettra aux soignants de mieux comprendre les évolutions du diabète et d’adopter des pratiques adaptées. Cette initiative permettra également une harmonisation des connaissances et un alignement des méthodes de travail entre les libéraux et les hospitaliers. Partager un langage commun facilite la coordination et rend les échanges plus fluides, notamment dans les filières de soins. Bien que le niveau médical du diplôme puisse représenter un défi pour certains paramédicaux, l’expérience menée en Guyane montre que cette formation bonifie la pratique et augmente la confiance des soignants. Il en résultera des filières de prise en charge plus efficaces, une qualité des soins améliorée et des parcours de soins plus cohérents et plus performants. Prochainement lancé par le CHU d’Orléans, ce diplôme universitaire de diabétologie pourrait même devenir un diplôme interuniversitaire dans les deux ou trois prochaines années.
« Une région active dans la recherche devient une vitrine nationale et internationale.
Cela favorise son dynamisme et son attractivité. »
Quelles sont vos ambitions pour transformer durablement la lutte contre le diabète et les maladies métaboliques ?
Recherche, enseignement et coordination seront les trois maîtres-mots de la transformation. Pour améliorer durablement la prise en charge des maladies métaboliques, il nous appartient notamment de développer des projets ambitieux, comme le programme hospitalier de recherche clinique sur le diabète gestationnel et l’utilisation de la metformine, qui permettront de mieux connaître les spécificités locales des patients, d’accroître la visibilité régionale et d’attirer de nouvelles compétences (internes, chefs de clinique, jeunes médecins…). Une région active dans la recherche devient une vitrine nationale et internationale, ce qui favorise son dynamisme et son attractivité. Après le lancement du diplôme universitaire de diabétologie, nous devrons également élargir le scope et développer des formations pratiques, notamment via la simulation en santé (CeSimO) ; des ateliers sur des mannequins avec plaies seraient particulièrement instructifs. Ces formations renforceront les compétences des soignants et la cohérence des pratiques. Sur le plan clinique, la création de filières ville-hôpital serait une avancée décisive pour fluidifier les parcours de soins et assurer une prise en charge efficace incluant prévention et éducation thérapeutique. Autre chantier majeur : la coordination régionale doit être consolidée et développée. Les choses avancent progressivement et dans la bonne direction. Outre une coopération accrue avec le CHU de Tours et ses équipes, notamment via les Centres spécialisés de l’obésité, plusieurs recrutements sont en cours dans le domaine stratégique de la nutrition. Il ne faut pas en douter : nous pouvons, collectivement, enrayer la progression des maladies métaboliques dans la région !
Diabète de type 2 : la stratégie thérapeutique de référence
La Haute Autorité de santé a récemment actualisé ses recommandations concernant la prise en charge des personnes vivant avec un diabète de type 2*. Plus individualisée, la stratégie thérapeutique est davantage centrée sur le patient et son quotidien. Activité physique adaptée, accompagnement nutritionnel, éducation thérapeutique… Les mesures non médicamenteuses restent le socle incontournable de la prise en charge. La metformine demeure le traitement de première intention, sauf contre-indication, mais la grande évolution réside dans l’intégration prioritaire des inhibiteurs de SGLT2 et des agonistes du récepteur GLP-1 chez les patients présentant une maladie cardiovasculaire avérée, une insuffisance rénale ou un risque cardio-rénal élevé. Leur utilisation est recommandée pour leurs bénéfices démontrés au-delà du simple contrôle glycémique : réduction des hospitalisations pour insuffisance cardiaque, ralentissement de la progression de la maladie rénale et amélioration du pronostic cardiovasculaire. La HAS évoque également la nécessité de réévaluer régulièrement les traitements, de limiter la complexité thérapeutique et d’adapter les objectifs d’HbA1c en fonction de certains critères (profil, âge, comorbidités, risque hypoglycémique…). L’accès aux technologies de mesure du glucose et aux dispositifs d’injection est encouragé lorsque leur usage peut améliorer l’autonomie et la qualité de vie.
(*) « Stratégie thérapeutique du patient vivant avec un diabète de type 2 », Haute Autorité de santé (mai 2024)





